Intelligence Artificielle et recrutement : l’homme a peur de la technologie… depuis que la technologie existe

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Elle ne peut pas être mieux illustrée que par la série Black Mirror. Elle, c’est la peur que suscite chez les hommes la technologie. On appelle cela la technophobie. Chaque nouveauté dans ce domaine suscite un débat entre les partisans du progrès à tout prix et ceux qui le redoutent. Comme aujourd’hui le recrutement avec l’Intelligence Artificielle. Une simple recherche Google illustre la controverse sur le sujet. A ceux qui craignent de se faire remplacer petit à petit par des robots s’opposent ceux qui voient en cet outil un moyen de délester le recruteur de tâches rébarbatives. Ce qui, par effet de vase communiquant, leur permet de se concentrer sur l’humain et les tâches à haute valeur ajoutée. Pour y voir plus clair et tenter de se faire une opinion, on peut s’intéresser aux réactions qu’ont suscité les « technological breakthrough » par le passé. Comment ont été accueillis les disrupters des temps anciens ? Et si se pencher avec recul sur les débats passés pouvait nous éclairer sur comment appréhender les nouveautés du présent ? Car, vous le verrez, certaines similitudes sont frappantes. Tour d’horizon.

Le train qui cristallise toutes les peurs

On l’a peut-être oublié, mais le débat sur la dangerosité des trains et chemins de fer a agité le 19eme siècle. C’est ce que rappelle Jean-Baptiste Fressoz dans son ouvrage « La peur du train, symbole apocryphe du refus du progrès ». Il cite par exemple la demande solennelle des membres de l’académie de médecine de Lyon en 1835. « Ne risquons-nous pas des atteintes à la rétine et des troubles de la respiration à grande vitesse, les femmes enceintes ballottées ne vont-elles pas faire des fausses couches ? ». D’autres scientifiques pensaient que l’homme ne résisterait pas à un passage, même bref, dans un tunnel. Cependant, ces thèses étaient déjà réfutées à l’époque par certains de leurs confrères. Comme Louis Figuier, qui intégra ces hypothèses dans son bêtisier médical en 1863. Le débat s’éteignit au fur et à mesure que ce moyen de transport se développait.

La puce RFID, la police totale

RFID signifie Radio Frequency Identification (radio-identification en français). Ce sigle désigne une méthode utilisée pour stocker et récupérer des données à distance en utilisant des balises métalliques, les « puces RFID ». Ces balises, qui peuvent être collées ou incorporées dans des produits, réagissent aux ondes radio et transmettent des informations à distance. Une technologie née pendant la 2eme guerre mondiale et qui a vocation, à terme, à remplacer les codes-barres. Le début de leur utilisation massive dans la distribution, au début des années 2000, a suscité de nombreuses craintes. Craintes que compile le livre « RFID, la police totale : puces intelligentes et mouchardage électronique » écrit par le collectif grenoblois Pièce et Main d’œuvre en 2008.

De quelles craintes parle-t-on ? Que les puces soient insérées partout dans un but de contrôle total. Après les codes-barres, viendra le tour des « les animaux, titres de transport et d’identité, les livres des bibliothèques, les arbres des villes et, finalement, les êtres humains à l’aide de puces sous-cutanées. » 10 ans après, le débat s’est lui aussi un peu tassé, le secteur de l’habillement utilisant majoritairement des puces RFID.

Le smartphone, le marronnier des technophobes

La 5G, c’est la peur technologique du moment.  Pour rappel, il s’agit du nouveau réseau de téléphonie mobile, apportant un débit jusqu’à 100 fois supérieur à la 4G. Les opposants y voient une augmentation incontrôlée des ondes en milieu urbain. Des ondes nocives pour la santé. Récemment, ils ont été rejoints par les opposants au vaccin contre la COVID 19. Des complotistes persuadés que les doses de ce vaccin ne sont que des nanoparticules visant à recevoir le réseau lui-même. Il faut noter que les opposants au smartphone sont aussi anciens que le smartphone lui-même. C’est ce que rappelle Nicolas Nova dans « Anthropologie du Smartphone ». Dès les années 1990, des alertes furent lancées sur le côté  « désociabilisant » et les risques « élevées de dépression » chez les utilisateurs. Des critiques déjà émises dans les années 80 à propos… des écouteurs.

Tous ces exemples n’indiquent pas pour autant que les opposants aux nouvelles « technologies » sont des rabat-joie qu’il faut absolument éviter d’écouter. Pour Nicolas Nova, 2 types de critiques se distinguent. Celles basées sur le doute méthodique qu’il faut prendre en compte (ces dernières influent aussi la vie des nouveautés technologiques) et celles résultant d’une « panique sociale ». C’est-à-dire la nouveauté technologique perçue comme une menace pour « les valeurs sociales et les intérêts de la société ». Cette panique ne serait en réalité qu’un énième biais cognitif qui brouille notre jugement. Si l’on transpose ce raisonnement à l’Intelligence Artificielle dans le recrutement, cela invite les professionnels à simplement … tester la technologie avant de se faire leur opinion. Ou à lire les retours de leurs consoeurs et confrères qui pullulent sur le web et les réseaux sociaux. Pour percevoir les réactions multiples qu’elle génère. 

D’un côté, on souligne le gain de temps qu’elle suscite. C’est ce qu’ont déclaré 41% des recruteurs dans une étude publiée par le cabinet Robert Walters sur le sujet. De l’autre, des spécialistes comme Cathy O’Neil, consultante en sciences des données, alertent sur la reproduction par l’IA des biais cognitifs humains. Qui sont, pour rappel, la base des discriminations à l’embauche. On parle alors de biais algorithmique. Cela invite aussi les professionnels à simplement … tester la technologie avant de se faire leur opinion. Le débat est ouvert… et utile. Car, comme l’étaient les trains et les écouteurs, l’IA demeure perfectible.